Ensemble de vases Strömbergshyttan. Photo : Christophe Pradel : http://christophepradel.com/
Il est intéressant d’observer que l’artisanat verrier scandinave traverse le temps et les générations. Des objets lumineux et colorés de Holmegaard, de Kosta Boda et de marques un peu moins connues et non moins réputées, telles qu’Orrefors et Strömbergshyttan, entre autres, peuplent les maisons scandinaves, toutes générations confondues.
L’une des raisons pour lesquelles j’écris cet article est que les informations en français sur le sujet sont extrêmement rares et peu fournies. Je partage donc ce que j’ai découvert sur l’art du verre à la scandinave.
Le nord de l’Europe n’est pas très riche en ressources et en matières premières. Le commerce donc a toujours été très important pour l’économie de cette région, avec la pêche. À partir du XVIème siècle, la région développa une économie manufacturière, axée sur la forêt et sur le cristal. Ce dernier utilisant le sable, évidemment, comme matière première, existant en abondance dans la région.
Le savoir-faire verrier, unique et très technique, a pu être développé et préservé à travers le temps grâce aux nombreux regroupements qui ont eu lieu et aussi par la réutilisation systématique des forces vives de l’artisanat verrier local.
A titre d’exemple, les artisans suédois sont sans conteste en matière d’art verrier. La Région du Småland – petites terres – au Sud de la Suède, est aussi appelée le « Royaume du Verre ». Cette province, bordée à l’Est par la Mer Baltique, accueille la plupart des entreprises verrières du pays, dans les communes de Hovmantorp, de Lessebo, de Kosta, de Boda et d’Orrefors. La plupart des entreprises verrières en Suède adoptent le nom de la commune dans laquelle elles sont installées, mais l’inverse peut aussi être vrai !
En matière de perpétuation de savoir-faire, j’aimerais citer le cas d’Orrefors, marque suédoise mythique établie depuis 1898, qui a fusionné avec Kosta Boda en 1989 pour devenir « Orrefors Kosta Boda AB ». À partir de la fin des années 1980, la société a redoublé ses efforts en matière de design jusqu’à créer des pièces en verre extrêmement élaborées, qui peuvent par moment rappeler le travail verrier du Golfe de Venise, dans ce qu’il a de meilleur en la matière.
L’histoire de la verrerie Strömbergshyttan est aussi très intéressante. Strömbergshyttan a été fondée en 1876 sous le nom Lindefors Glasbruk, jusqu’à ce qu’un changement d’appellation intervienne en 1933, lors de son acquisition par un ancien dirigeant d’Orrefors, Edvard Strömberg. L’épouse d’Edvard, la designer Gerda Strömberg, a été très importante pour la structuration de la gamme de produits proposée et aussi pour la création d’une image forte pour cette marque, aujourd’hui disparue. Les objets en verre de Strömbergshyttan sont à la fois purs, massifs et élégants, avec une épaisseur de paroi allant parfois jusqu’à 8 à 9 mm, au bord. Ce sont des pièces extrêmement résistantes qui sont vendues à des prix assez élevés, notamment aux États-Unis.
L’atelier est resté actif, et dans le giron de la famille Strömberg, jusqu’en 1976, lorsque la société a été vendue à Orrefors. Cet atelier verrier a donné son nom à la petite commune de Hovmantorp, dans le Småland, en 1940. La commune est encore connue aujourd’hui sous le nom de Strömbergshyttan. Les usines ont été désaffectées en 1979 après leur reprise par Orrefors.
Le travail épuré de la verrerie Strömbergshyttan ne peut être confondu avec celui du Studioglas Strömbergshyttan, créé en 1987, dans cette même commune, qui a, depuis, fusionné avec la verrerie Bergdala en 2008. La société est active aujourd’hui sous le nom de Bergdala Studioglas.
Vase et coupelle de la marque Holmegaard, réalisés par Per Lütken, probablement entre 1955 et 1965. Photo : Christophe Pradel : http://christophepradel.com/
Traversons la frontière Ouest de la Suède pour aller au Danemark, patrie de la marque Holmegaard. Crée en 1825, la verrerie a, depuis, été intégrée dans le giron du Groupe familial Rosendahl, qui distribue également d’autres marques iconiques du Danemark.
Si Rosendahl et Holmegaard produisent aujourd’hui de très élégants objets en verre pour le quotidien, la production plus ancienne de Holmegaard est devenue un classique du design du XXème siècle.
La création de Holmegaard est, entre autres, une histoire féminine. La comtesse Henriette Danneskiold-Samsøe, après la mort de son mari, décide de poursuivre le projet de création de la verrerie à Holmegaard Mosen, commune localisée sur la portion Sud de l’île de Zealand, au Sud-Ouest de Copenhagen.
La production démarre en 1825. Au début, l’usine ne produisait que des bouteilles vertes, classiques, mais Henriette voulait également produire des objets en verre clair et la société a diversifié sa gamme et son dessin au fur et à mesure du temps.
Plusieurs maîtres verriers, designers et artistes ont contribué à enrichir la production de Holmegaard, et ce, dès le début du XXème. La marque poursuit toujours aujourd’hui des collaborations avec des artistes danois renommés.
Si je devais n’en citer q’un seul, ce serait Per Lütken. Ce maître verrier a réellement forgé une identité forte pour les produits de Holmegaard, dessinant et réalisant plus de 3 000 modèles. Beaucoup de ses pièces ont été signées ; l’artiste apposait à la main ses initiales – “PL” – entre le nom de la marque et le numéro du modèle. Cette collaboration s’est poursuivie durant plus d’un demi-siècle, de 1942 jusqu’à la mort de Per Lütken, en 1998.
Là encore, exception scandinave : le maître verrier aurait pu être totalement oublié dans un processus uniquement industriel et marchand. Or, Per Lütken a pu se faire connaitre avec les pièces réalisées pour Holmegaard. Son travail a été valorisé et admiré, et je dirai même, encore plus aujourd’hui qu’hier, alors que ses pièces ne se trouvent pas si facilement, en dehors du Danemark, et dont certaines sont cédées à des prix assez élevés.
Les objets de Holmegaard font partie de la vie quotidienne des Danois. Ces objets sobres et élégants se transmettent de génération en génération (là, j’ai eu envie d’écrire « de mère en fille » mais connaissant l’esprit danois, j’opte pour la neutralité).
Enfin, j’aimerais terminer ce texte par une approche plus sensible, et dire combien la douceur des verres, de ses couleurs et de ses formes pures reflètent le paysage, la nature et la culture du Nord.
Il suffit d’observer un coucher de soleil dans ces contrées pour comprendre la forme et les couleurs choisies pour le Provence Bowl, dessiné en 1955 par Per Lütken, existant en bleu et de rose, entre autres teintes.
Ingrid de Rio Campo
Août/Septembre 2022
J’ai une assez grande collection de verres scandinaves à Paris. Les photographies réalisées par Christophe Pradel mettent en scène quelques-unes des pièces de cette collection.
Bol “Provence” en rose et en bleu, dessinés par Per Lütken en 1955 pour Holmegaard. Ci dessus, coucher de soleil à Fredericia, Denmark.
Très intéressant et très informatif.
Des très beaux objets
Ingrid De Rio Campo a écrit là un très bel article, qui donne envie de connaître ces maitres verriers capables de produire de belles pièces, dont la pureté des lignes reflètent la nature environnante. Ce qui est fascinant est que cette beauté accompagne la vie ordinaire des gens puisqu’on retrouve ces verreries dans les familles et qu’elles sont transmises d’une génération à l’autre : tout un art de vivre !
Très bonne idée de parler de la verrerie scandinave et danoise moins connue que la céramique
Très bien documenté et très agréable à lire . Bravo !
Lecture très intéressante. J’ai eu la chance de voir quelques exemplaires de ces vases et coupelles, en effet des objets magnifiques et intemporels.
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