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Fjordenhus ou la force du vide, par Ingrid de Rio Campo

Ingrid de Rio Campo_Critique architecturale_Fjordenhus_Schéma_Plan
Fjordenhus à Vejle, Danemark. Schéma en plan par Ingrid de Rio Campo

Visites et critique architecturale

Extrait de « Soleil du Nord. Chroniques d’une architecte brésilienne au Danemark », par Ingrid de Rio Campo (Ouvrage en préparation).

Été 2022. Je suis partie au Danemark, manquant un peu d’assurance, car je revenais du Maroc où il y avait encore beaucoup de restrictions dues à la grande pandémie. Mais le Danemark a rapidement levé les restrictions pour que la vie reprenne.

H. m’a amené à Vejle pour la visite de la Fjordenhus, que nous avons réservé préalablement en ligne. Elle avait déjà fait la visite avec C. et avait pu visiter tout l’immeuble, ce qu’il n’est plus possible aujourd’hui : seul l’étage inférieur et le niveau du quai sont visitables. Ce dernier est ouvert au public et accessible directement par la passerelle métallique, seul lien de Fjordenhus avec la terre ferme.

L’œuvre a été livrée en juin 2018. Depuis, les utilisateurs l’ont reprise en main pour que l’activité, objet de la commande, s’y installe.

Ce jour-là, il faisait très froid. Nous étions légèrement en retard, venant de F. par la route du Sud. Nous avons garé la Berlingo aussi vite que nous avons pu. Il est un peu compliqué, laborieux et cher de se garer en ville, au Danemark. À chaque endroit, il faut comprendre la façon dont le paiement doit se faire.

La ponctualité danoise, une valeur sûre

A dix heures zéro une minute, la visite avait déjà commencé et nous avons dû rejoindre le groupe presque en nous excusant. Dans la foulée, H. avait oublié son imper dans la voiture. Elle a eu très froid durant toute la visite des extérieurs. J’étais peinée, moi qui avais sur moi imper, béret et écharpe. J’ai lui ai passé l’écharpe qui a pu la protéger un peu du vent glacé qui soufflait ce matin d’été sur le fjord. C’est aussi cela le Soleil du Nord.

Fjordenhus est une commande du Groupe Kirk Capital, propriétaire de la marque de jouets LEGO, à l’artiste Ólafur Elíasson. L’artiste danois a des origines islandaises, d’où son nom quelque peu exotique même pour un danois. H. m’avait juré qu’il ne s’agissait pas d’un danois ! Mais quelle importance ?

Ce bâtiment est devenu emblématique dans la ville de Vejle. Il s’agit d’une commune plutôt huppée de la côte Est de la péninsule de Jutland, malgré ses friches portuaires, largement réinvesties depuis. La péninsule de Jutland fonctionne comme un grand port sec, un arrêt obligé où les marchandises venant de et allant vers l’Europe Continentale arrivent et sont redispatchées. L’économie de la région est florissante.

Fjordenhus est un immeuble tertiaire pas comme les autres. L’œuvre – ici ce mot prend réellement tout son sens – a été pensé pour accueillir les bureaux du groupe Kirk Capital. L’œuvre accueille aussi, au dernier étage, un restaurant très particulier, le Lyst, dont je parlerai après.

Fjordenhus, une œuvre d’art totale issue d’une approche innovante

Ólafur Elíasson a conçu Fjordenhus comme une œuvre d’art totale, une œuvre à vivre. Sa légitimité pour concevoir l’architecture ? Totale également. Son agence, installée entre Copenhague et Berlin, compte avec une petite centaine de collaborateurs, couvrant des champs les plus divers : artistes, graphistes, webdesigners, réalisateurs, codeurs, archivistes, historiens d’art, cuisiniers, et compte avec une majorité d’architectes.

 

La vocation du studio à mener des recherches fondamentales dans tous les champs de la création plastique est très marquée. L’architecte allemand Sebastian Behmann assure la direction du design au sein de l’équipe et co-signe les œuvres architecturales du studio. Heureusement pour nous tous, ces œuvres sont de plus en plus nombreuses.

 

Comme si cette vocation de recherche ne suffisait pas à l’innovation, le studio propose à ses collaborateurs des repas sains, quotidiennement. Les deux cuisiniers de la « team » sont présentés comme en charge de la « cook and food research ». N’est-ce pas incroyablement innovant et rafraichissant ? Est-ce là la racine de l’implantation de Lyst à Fjordenhus ?

L’œuvre et l’outil : innover à tous les étages

L’observation que je fais est la suivante : quand il y a réellement de l’innovation dans un système, elle est menée jusqu’au bout. L’innovation ne s’arrête pas en chemin. J’allais oublier, le studio a son propre magazine, le « TYT », Take Your Time, avec trois parutions par an.

 

A Fjordenhus, divers sujets de recherche, menés depuis longtemps par le studio, ont été testés et matérialisés. Diverses œuvres d’art, identifiables en tant que tel, complètent l’ouvrage.

 

L’ensemble paraît émerger du port comme un iceberg de briques immergé, encore un peu mouillé par le mouvement ascensionnel initié dans les profondeurs de l’eau. Il n’est pas, à mes yeux, une forteresse médiévale, comme certaines pensent et comme les découpes de son acrotère dans le skyline portuaire de Vejle pourraient évoquer. Idée exprimée par l’artiste, l’ensemble crée un vortex, pivotant sur soi et créant un mouvement ascensionnel suffisamment puissant pour se transformer en matière.

 

Si les planchers sont plans, il n’y a aucun angle droit dans cette construction : les espaces qui étaient potentiellement déjà là, ont été comme enveloppés avec douceur, courtoisie et assurance par quatre cylindres imbriqués l’un dans l’autre. La pensée structurelle est celle de la coque. Précisément ici, il s’agit d’une double coque. Il n’y a pas de poteaux.

Fjordenhus ou la force du vide

Je fais ici une parenthèse technique pour rappeler des références utiles à comprendre ce point : dans l’histoire de l’architecture moderne, berceau de l’architecture contemporaine, il y a la pensée structurelle « dalle-pilotis » d’un côté, théorisée par Le Corbusier, sensée libérer le plan et la façade. De l’autre, il y a la pensée « coque », dont l’un des plus éminents « praticiens » était Marcel Breuer. Cette dernière démarche consiste à concevoir une coque structurelle, une façade porteuse enveloppant l’espace.

Ingrid de Rio Campo. Critique architecturale. Fjordenhus, Danemark. Schéma en volume.
Fjordenhus, Danemark. Schéma en volume par Ingrid de Rio Campo

Et Fjordenhus opère la synthèse entre ses pensées maintenant dépassées par une complexité du monde retrouvée avec la révolution numérique. Fjordenhus englobe des espaces et des plans entièrement libres, définis par une enveloppe format coque.

Cette double coque expliquée ci-avant, réalisée en briques, est interceptée par des vides démarrant du sol en dessous du niveau de l’eau, des cercles en plan, décrivant un mouvement elliptique vers le haut, et ce de manière non verticale. Ces vides forment des petites coques elliptiques qui s’allongent sur presque toute la hauteur de l’ouvrage, soit cinq étages si l’on compte le rez-de-chaussée.

En somme, c’est le vide des « mini-coques » évidées qui tient l’ensemble, la matière n’est là que pour le qualifier, pour le souligner. Dans ce sens, j’aime penser que c’est l’inventivité elle-même qui tient l’ensemble.

La brique, matière tactile et encore plus sensuelle formant des courbes

La brique, toujours la brique, matière première du Nord, avec la lumière et le sable.

Le studio d’Ólafur Elíasson a profité pour innover encore sur ce point : les différentes coques sont réalisées en un assemblage de briques qui se déforment pour épouser les courbes elliptiques décrites ci-avant. Bien entendu, les briques ne se déforment pas ; chaque module a été conçu et posé de manière à pouvoir décrire les courbes du projet. Chaque brique a son emplacement spécifique dans ce grand LEGO géant complexe.

Chaque module est façonné pour s’adapter à la courbe des murs. Les maçons ont travaillé d’après des plans de réalisation minutieusement préparés pour la réalisation de la construction. N’ayant pas de lignes droites dans cette œuvre, les maçons ont dû apprendre à s’adapter pour réaliser un travail non standard : les briques sont délibérément posées de manière un peu désordonnée, si comparé à une pose traditionnelle, à l’aplomb. Les surfaces étant gauches, les briques sont posées « en décalé » de quelques centimètres les unes par rapport aux autres.

Des briques modulaires tantôt rectangulaires, tantôt carrées, parfois rondes, opaques ou brillantes, plus vertes ou un peu moins bleues, déjouent la monotonie et composent une étoffe complexe, tactile et sensuelle, pensée pour accueillir les utilisateurs en douceur.

Je perçois cet œuvre comme puissamment féminine. Elle met à terre toute notre civilisation patriarcale guidée par le profit, par la loi du plus fort et aussi par les angles droits.

Des couleurs naturelles pour déjouer une partition monocorde

Au total, treize couleurs différentes de briques naturelles et trois couleurs de briques émaillées composent les surfaces complexes de la Fjordenhus.

En haut, au droit des arches, se concentrent les briques émaillées bleues. En bas, on observe une concentration de briques émaillées vertes. Toute cette composition est proposée pour accentuer le mouvement ascensionnel de l’œuvre, du bas vers le haut, de la mer verte vers le ciel bleu.

Dans l’espace centrale et ouvert du niveau « quai », à la « piazza », au début du troisième tiers de la hauteur, une brique en argent. Elle est dédiée à la Reine du Danemark, remplacée par son Fils, depuis.

Et il ne pourrait pas en être autrement dans une pensée organique si puissante : le mobilier et l’éclairage ont été créés spécialement pour ces espaces y compris pour ceux investis par le restaurant Lyst. Des tables rondes, des sièges sobres et confortables, des luminaires à la géométrie harmonique, centrés et recentrant l’espace et les utilisateurs.

Ancestrale en architecture, la courbe est devenue très onéreuse

Tous ceux ayant déjà conçu et réalisé un bâtiment dans leur vie peuvent imaginer la complexité que les bâtisseurs, architectes et entreprises, ont dû surmonter. Je ne parle même pas, ici, du coût de réalisation de formes courbes, dont le coût est exponentiellement plus élevé que celui des formes et des surfaces planes.

C’est précisément cela qui crée ce caractère aussi dur des constructions et des villes actuelles, des environnements si inhospitaliers que seuls les photographes les plus doués peuvent transformer.

Nos ancêtres ne vivaient pas dans des espaces perpendiculaires. Les « tabas » (des peuplements dont les habitations sont disposées en cercle) et les « ocas » (des habitations unifamiliales circulaires) où vivaient les indiens d’Amérique du Sud, par exemple, sont circulaires et arrondies.

Ingrid de Rio Campo_Critique architecturale_Fjordenhus_Publicité pour le restaurant Lyst
La seule publicité du restaurant Lyst dans l’espace public. Photo : Ingrid de Rio Campo

Le Lyst : un restaurant unique, gastronomique et local

E pour finir, le Lyst. Situé au dernier étage de la Fjordenhus, le restaurant propose « chaque jour, un menu unique qui reflète la météo, le temps, les saisons et l’état des cultures agricoles locales ». Plus qu’un repas, Lyst propose une expérience immersive ayant comme pivot l’expérience gustative.

Le restaurant a trouvé l’écrin idéal pour son activité qui s’abstient de toute publicité et de tout affichage : le seul vestige de Lyst dans l’espace public est la petite plaque en bronze avec son logo, incrustée entre les boutisses de revêtement du quai où est amarrée la Fjordenhus.

J’ai vérifié, il y a encore de la place pour ce mois d’octobre 2024. Compter six heures pour un repas immersif complet.

L’auteur : Ingrid de Rio Campo, créatrice et designer

Passionnée d’architecture, des villes et d’art, je crée à l‘échelle « macro » et « micro : des objets exclusifs – céramiques et dessins à base de terre, des « land drawings » et des espaces inclusifs – des habitats et des bureaux comme une seconde peau et aussi des aménagements urbains ancrées dans le relief naturel. La sanctuarisation de la nature – l’écologie – et l’équilibre psychologique de l’utilisateur, entre dynamisation et sérénité – l’ergonomie, l’écologie humaine – sont au centre de mon approche.

Que vous ayez le désir d’avoir un objet unique et naturel chez vous ou que vous souhaitiez transformer les lieux dans lesquels vous évoluez, prenez contact avec moi.

Fjordenhus (La maison du fjord)

Localisation : Vejle, Denmark / Maître d’ouvrage : Kirk Kapital / Architectes : Ólafur Elíasson (artiste), Sebastian Behmann du Studio Olafur Eliasson (conception architecturale), Caspar Teichgräber (chef de projet), Lundgaard & Tranberg Architecture (architecte local) / BET structures : Hundsbæk & Henriksen / Entreprise générale : Jorton / Superficie : 5 572 m²  / Conception : 2011-2013 /Livraison : 2018

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