Une contribution au débat actuel sur l'agriculture, sur les villes et sur les agriculteurs
Bien manger pour bien vivre en ville, ensemble
Habiter au paradis où tout ce que la nature produit est disponible, pour tous ? Sans troc, sans prix, inconditionnellement ? Un lieu où il suffira de cueillir un fruit quand on a faim ?
En ce mois de mars 2024, en pleine discussion sur le devenir de nos agriculteurs, je reviens sur ce que je sais ou bien sur ce que je perçois sur cette question.
Et si les denrées végétales étaient un don, comme l’est l’air (certes, très pollué aujourd’hui), comme l’a été auparavant l’eau (elle aussi polluée) ?
Agriculture urbaine. Au départ, il était l’Angleterre.
En Angleterre, cette idée fait école depuis le XIIᵉ siècle, avec le mouvement des enclosures, des champs ouverts, cultivables par une population peu favorisée dont les parcelles découpées étaient bordées de haies formant des bocages. Les Inclosure Acts ont mis fin à cette pratique pourtant bénéfique à tous, exploitant et propriétaire, qui déléguait par extension la maintenance de ces terres.
Plus proches de nous dans le temps, au début des années 2000, à Todmorden au Nord de l’Angleterre, située entre Manchester et Leeds, un collectif citoyen se donne pour l’objectif d’arriver à l’autosuffisance alimentaire de la ville à l’horizon 2018.
Le réseau des « Edible Cities » a entretemps, et rapidement, vu le jour et a essaimé l’initiative.
Agriculture urbaine. La France.
En France, le mouvement des Incroyables Comestibles est très actif pour transformer des espaces urbains en jardins partagés cultivés.
Aujourd’hui, ce type d’initiative n’est plus simplement une réponse à la précarité générée par la désindustrialisation de l’économie, comme aurait pu être considéré le mouvement originaire du Nord de l’Angleterre, mais comme une réelle option de vie pour tous et une vision d’un avenir commun.
Agriculture urbaine. De la résilience en périodes difficiles.
Prenons l’exemple de Detroit lors de la faillite financière de la ville. J’ai eu l’opportunité de visiter Detroit, en 2016, alors que la grande distribution a arrêté de vendre des produits frais lorsque les clients plus fortunés ont déménagé. La population locale, moins fortunée, a dû mettre les mains à la terre pour faire pousser des vivres pour leur subsistance. Les espaces publics ont alors fourni des surfaces cultivables, autrefois plantées uniquement pour l’ornement.
Agriculture urbaine. Le paradis sur Terre, un chemin à parcourir ?
Mais, nous n’y sommes pas encore. Cependant, c’est mon avis, c’est un horizon vers lequel il sera intéressant et porteur de tendre.
À mon niveau, je saisis des opportunités de positionner des idées un peu nouvelles pour tendre vers une planète abondante, pour tous. Il me semble qu’il faut aller petit à petit, un peu tous les jours.
Agriculture urbaine. Retour remarqué des petites épiceries en ville. Bien manger pour bien vivre.
Jadis, nous avions presque tous une culture assez poussée du milieu naturel. Les saisons, les plantes sauvages comestibles, les champignons de sous-bois, les produits agricoles de saison et les recettes pour les accommoder. Faut-il mentionner que nous en sommes aujourd’hui très loin de cela ? Que beaucoup ne connaissent pas d’autres légumes que ceux du quotidien ou des étals des supermarchés ? Que beaucoup ne cuisinent plus ?
Nous ne faisons pas encore tous nos courses chez l’épicier bio du coin. Ce type de service (et pas qu’un commerce) a refait apparition ces dernières années, pour notre plus grand bien et pour notre culture collective. J’y ai découvert toute une gamme de radis d’hiver, de toutes les couleurs. Et, surprise ! Un radis vert-blanc en surface, peut cacher un cœur rouge
Agriculture urbaine. Bien manger, bien vivre. Nous sommes tous des praticiens du paysage.
Je suis devenue praticienne du paysage, d’abord en raison de l’absence de paysagistes dans notre équipe de maîtrise d’œuvre, à l’occasion de la réalisation d’un projet assez important de restructuration d’un site commercial. Il s’agissait d’agrémenter les façades et d’accompagner les utilisateurs depuis le parc de stationnement jusqu’aux entrées du site, avec des aménagements paysagers.
Ma licence d’ingénierie agronome était un peu loin et j’avais alors acquis surtout une culture des plantes tropicales…
J’y ai donc passé beaucoup de soirées, seule dans ce cabinet d’architectes où j’étais directrice de projets, à trouver des informations sur la flore Européenne, à composer une palette végétale adaptée et consensuelle, à composer un projet végétal avec différentes strates plantées et une intention esthétique marquée et en accord avec l’architecture. Palette consensuelle, car, sur ce projet, la puissante enseigne nationale qui était l’un de mes interlocuteurs, avait interdit les arbres résineux, afin de préserver les voitures des clients (merci à ceux qui connaissent quelque chose en la matière de me confirmer le danger).
Des plantes ornementales ET comestibles
J’ai proposé alors des plantes comestibles comme couvre-sol (de l’origan essentiellement), des massifs fleuris composés de fleurs d’ail, de l’ail des ours et du thym, ainsi que des buissons d’avoine. Ici, c’est surtout la dimension symbolique qui a prévalu, certes, mais, à mon niveau, c’était déjà un petit pas de fait.
Reste à mener la redécouverte du caractère comestible des végétaux qui nous entourent.
Ce projet m’a fait voir des parties de moi que j’avais oubliées et je suis reconnaissante encore aujourd’hui pour cette opportunité qui m’a ensuite ouvert de nouvelles portes.
Agriculture urbaine. Retour sur les tropiques.
Plus récemment, j’ai proposé des idées agricoles un peu plus osées, et à plus grande échelle. C’était le cas lors de l’élaboration d’Olympia, un nouveau secteur urbain à Anyama, au Nord d’Abidjan. Il s’agit d’une opération urbaine et immobilière dont la principale vocation est celle de fournir des logements économiques et sociaux de qualité.
Et justement, la qualité des futurs aménagements et des constructions tient particulièrement à cœur de notre maître d’ouvrage. C’est heureux, car, pour nous, équipe pluridisciplinaire de maîtres d’œuvre, il s’agit de notre philosophie.
Agriculture urbaine. La Palmeraie d’Olympia en Côte d’Ivoire.
L’équipe a ainsi proposé, sur Olympia, des aménagements paysagers exploités par un agriculteur. Il s’agit d’optimiser l’économie du projet pour faciliter la mise en œuvre des espaces paysagers généreux et qualitatifs que nous souhaitons implanter. Économie d’investissement et économie de maintenance, car l’agriculteur-exploitant prend en responsabilité ces espaces et dans la durée.
Mais quoi exploiter, au milieu d’un quartier résidentiel, sans encombre pour les habitants et sans risque de dégradation pour l’agriculteur ? L’arbre qui fournit l’huile de palme, et en seconde production, l’huile de palmiste, était bien adaptée à notre projet. La Palmeraie d’Olympia est née !
Ce projet, encore en phase d’études, a toutes ses chances d’aboutir de la manière la plus heureuse qu’il soit. Pour tout, il faut de la patience, aussi bien pour changer les idées reçues que pour que les arbres poussent et puissent produire.
Agriculture urbaine. Une norme ?
En mars 2024, je ne comprends même pas que ce type de projet, que j’ai cité ci-avant, ne soit pas la norme.
Certes, il y eut beaucoup de projets d’agriculture urbaine créés et en fonctionnement, y compris à Paris, et les appels d’offre se succèdent.
Agriculture urbaine. Il nous faudra accélérer le pas. Tous agriculteurs ?
Mais, il me semble qu’il faut aller un peu plus vite.
La crise agricole qui traverse l’Europe actuellement appelle à un changement de posture et de vision au regard de l’agriculture, au regard de l’agriculture urbaine et au regard de notre rapport au milieu naturel.
Agriculture urbaine. Produire localement est l’une des clés d’un monde qui tourne rond.
Dans le monde de l’après pétrole, produir localement, ne serait-ce que peu, sera déjà très important. Car la question de l’agriculture urbaine s’entremêle avec d’autres questions tout aussi prégnantes, comme celle de la mobilité, à titre d’exemple.
Certains états ont déjà commencé à mettre en place une nouvelle vision qu’en France, nous avons encore un peu de mal à envisager, telle est l’importance de l’agriculture dans l’économie et dans la vie des Français. Car bien manger, manger varié est presque la norme en France. Quelle chance de vivre ici !
Agriculture urbaine. La décréter n’est pas nécessairement une solution valable.
Toutefois, tous les pays n’ont pas un territoire aussi vaste, ni une diversité aussi grande d’options agricoles. Rappelons-nous des mesures favorisant l’indépendance alimentaire que la Suisse a mis en place il y a déjà quelques années. Ces mesures ont crée localement des problèmes collatéraux, par exemple, en générant une raréfaction foncière pour la construction de logements. Mécaniquement, leur prix a augmenté. Ceci est vrai pour la Suisse et aussi pour les territoires frontaliers. Par conséquent, le coût pour se loger, en France, proche de la Suisse, a beaucoup augmenté.
Il n’existe pas de solution absolue, ni simple, et surtout, il n’existe pas de solutions valables déclarées depuis le haut de la pyramide. Je pense que le pouvoir n’est plus au niveau des états ; le pouvoir est au niveau de chacun de nous, et il pourrait être relayé au niveau municipal, pas plus haut.
Agriculture urbaine. L’abondance agricole pour tous et en tout lieu.
Je ne sais pas si cet idéal de tendre vers l’abondance agricole pour tous et en tout lieu, que j’ai décrit au début de ce texte, est partagé. Mais, je sais qu’il incombe à chacun, agriculteurs ou non, de faire des petits pas, tous les jours.
Augmenter sa culture du milieu naturel, de l’alimentation, des produits de saison, découvrir différentes manières de préparer ce qui est disponible localement, manger moins et mieux, connaître son propre métabolisme…
C’est un vaste programme et pour clôturer ce texte en donnant l’envie de s’y mettre, je recommande l’ensemble des ouvrages de Michael Pollan, journaliste américain et auteur du livre « Cooked – A Natural History of Transformation ».
Agriculture urbaine. Post scriptum : la Côte Ouest de l’Amérique du Nord
Je fais un petit aparté pour parler du regretté restaurant « Edible Canada », qui existait dans le marché de Granville, à Vancouver. Il a fermé ses portes fin 2021. Gratitude d’avoir pu gouter à sa cuisine locale et raffinée. La côte Ouest des États-Unis et du Canada regorgent de bons produits agricoles et piscicoles, variés et de qualité, point de départ d’une bonne cuisine.
Découvrir le Pike Market à Seattle
Merci Ingrid pour cet article qui ouvre des portes, explore des pistes et finalement donne matière à réflexion sur un sujet qui nous concerne tous et va devenir de plus en plus prégnant
article très intéressant, qui propose plusieurs axes de réflexion, de la production à la consommation.
. engagement personnel, que sommes nous capables ou prêts à faire ?
. volonté politique de proximité pour le développement de ces espaces cultivables.
. connaissance , éducation et transmission
en effet penchons nous sur les nombreuses initiatives qui se développent autour de nous, sans oublier les nouveaux systèmes de distribution type Amap, où paniers.
c’est pas une belle invitation à réflexion.
merci Ingrid
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